Apprendre à l’université du XXIᵉ siècle ou comment nourrir son éléphant ?

Fabien Fenouillet, Université Paris Nanterre – Université Paris Lumières

Cet article est publié à l’occasion du colloque « Apprendre à l’université du XXXe siècle », organisé par la Conférence des Présidents d’Université, colloque dont The Conversation France est partenaire.


Les travaux de la psychologie cognitive ont permis de mettre en évidence de nombreux phénomènes mnésiques qui sont essentiels pour comprendre l’apprentissage. Par exemple, nous savons maintenant que ce qui permet d’apprendre n’est pas la mémoire mais les mémoires.

Nous savons ainsi que les apprenants ont à la fois une mémoire de poisson rouge et une autre d’éléphant que l’on appelle respectivement mémoire à court terme et mémoire à long terme. Elle a ainsi permis de comprendre qu’un des enjeux de l’apprentissage est de parvenir à « nourrir » l’éléphant qui se cache derrière le poisson rouge.

Passer d’une mémoire à l’autre

Des solutions séduisantes ont été avancées pour faciliter ce « transit » intellectuel entre le poisson rouge et l’éléphant qui sommeillent en nous. L’une d’entre elles a été d’estimer que certains apprenants avaient un éléphant avec de grandes oreilles, les auditifs, alors que pour d’autres ils étaient dotés d’une vision quasi-photographique, les visuels.

Il est vrai qu’il est plus facile d’apprendre quand l’information est présentée verbalement (Peterson & Johnson, 1971), mais cela vaut uniquement en mémoire à court terme et pour tout le monde quelque soit la taille des oreilles. Il est également vrai qu’il est plus facile d’apprendre des images que des mots (Denis & Pouqueville, 1976) mais encore une fois cela est vrai pour tout monde, indépendamment de la profondeur du regard.

Pour trancher cette épineuse question entre les visuels et les auditifs, Lieury et ses collaborateurs ont imaginé une expérience en 1996 où ils ont présenté à une centaine d’apprenants, des corpus d’informations sous 7 formes différentes qui allaient de la simple lecture sans aucune image jusqu’à la télévision avec un reportage de E=M6, en passant par le cours oral aidé d’un tableau.

Les résultats ont montré que ce n’est pas ni l’image de la télévision, ni l’oral de l’enseignant qui sont à retenir, mais le simple cours écrit sans aucune image. Ce résultat surprenant s’explique principalement par notre mémoire de poisson rouge.

En effet, lorsque les informations sont présentées sous forme d’un flux continu comme c’est le cas pour le cours oral ou la télévision, l’apprenant trop occupé à nourrir son éléphant ou à « liker » le dernier brushing de Madonna, manque certaines informations importantes sur lesquelles il ne peut revenir. Ce problème ne se pose pas lorsqu’il lit, puisque toutes les informations restent disponibles le temps de l’apprentissage.

Apprendre par ses propres mots

Un autre enseignement de cette recherche est que pour comprendre l’apprentissage, il ne faut pas réduire l’apprenant à un simple réceptacle dans lequel il suffirait de déverser des informations au format le plus approprié. L’apprentissage est sans doute l’une des activités humaines les plus complexes et le contrôle que l’apprenant a sur celui-ci est déterminant pour sa réussite.

Différentes recherches à la fois sur la mémoire et sur certaines activités d’apprentissage confortent cette thèse. En ce qui concerne la mémoire, Slamecka et Graf (1978) ont montré qu’il est plus facile pour un individu d’apprendre des mots qu’il a générés lui-même que des mots identiques mais proposés par le chercheur.

Ce même phénomène a été retrouvé par Foos et coll. (1994) dans le cadre de l’apprentissage d’un texte sur la vie des abeilles. Dans différentes conditions, les chercheurs ont proposé d’apprendre ce texte en fournissant un plan et/ou des listes de questions afin de faciliter cet apprentissage. Dans d’autres conditions, les chercheurs ont demandé aux étudiants de générer par eux-mêmes le plan et les questions. Les résultats de la recherche ont montré sans équivoque que les individus retiennent plus d’informations et comprennent mieux le texte quand ils génèrent par eux-mêmes le plan et les questions.

Prendre des notes, activité-clé

Une des applications concrètes de ces recherches, surtout dans la cadre des apprentissages universitaires, est la fameuse prise de notes des étudiants quand ils suivent un cours. Avec l’utilisation massive des technologies qui permettent de mettre à disposition les diapos qu’utilisent de plus en plus les enseignants ou même directement les cours complets, on peut en effet se demander s’il est encore utile pour les étudiants de prendre par eux-mêmes des notes.

C’est précisément la problématique de la recherche de Barnett (2003) qui porte sur l’apprentissage d’un cours de neurologie d’une durée de 35 minutes diffusé sous forme de vidéo. Il a comparé plusieurs conditions. Dans la première, les étudiants avaient pour instruction de prendre des notes comme ils le feraient normalement. Dans la deuxième, le chercheur donnait aux étudiants une feuille de papier avec 16 mots clefs qui avaient pour fonction de les aider dans leur prise de note. Dans la troisième, les étudiants recevaient le texte écrit complet du cours en plus de la vidéo. Enfin, dans la quatrième, les étudiants recevaient uniquement le texte écrit complet du cours.

Les résultats ont montré que les étudiants qui avaient les moins bonnes performances de compréhension et de mémorisation du cours étaient ceux qui avaient eu le texte écrit complet du cours. Les étudiants qui avaient eu à prendre des notes du cours retenaient plus d’éléments du cours que ces deux conditions, mais moins que la condition où les étudiants étaient aidés par une liste de mots clefs.

Ce résultat met encore une fois en avant l’activité de l’étudiant. Elle indique également que toutes les activités d’apprentissage ne sont pas égales, certaines s’avèrent être plus efficaces que d’autres. L’étudiant, encore plus que l’élève, est en effet dans l’obligation d’apprendre par lui-même, après comme avant, les cours. Le questionnement sur les apprentissages se doit donc d’inclure à la fois l’activité de l’étudiant, mais aussi la qualité de cette activité.

Motivation et autorégulation des apprentissages

Ce questionnement fait actuellement l’objet d’un champ de recherche très dynamique qui s’est organisé autour de deux grandes thématiques étroitement liées que sont la motivation et l’autorégulation des apprentissages. S’autoréguler c’est mettre en place, de soi-même, des stratégies ou des méthodes d’apprentissage dans l’objectif de maîtriser un corpus de connaissances.

Comme nous avons pu le voir, toutes les stratégies d’apprentissage ne sont pas aussi efficaces les unes que les autres. Un des moyens de favoriser l’apprentissage est donc d’aider les apprenants à utiliser les stratégies d’apprentissage les plus efficaces, mais cela ne constitue qu’une partie du problème que pose l’autorégulation des apprentissages. En effet, la question de l’autorégulation commence avant la mise en place des stratégies, elle interroge, dans un premier temps, les buts que mettent en place les apprenants.

Le fait d’avoir un objectif est un préambule indispensable à la mise en place d’une autorégulation des apprentissages. C’est pour répondre à cet objectif que l’apprenant va réguler de lui-même son comportement. Cependant, tous les apprenants ne se fixent pas d’objectif et ce pour plusieurs raisons : pour des questions de motivation (valeur de l’activité, résignation apprise, etc.) ou parce qu’ils estiment qu’ils n’ont pas besoin d’apprendre.

Les recherches montrent que si les étudiants ne cherchent pas nécessairement à apprendre par eux-mêmes, c’est aussi parce qu’ils ont une assez mauvaise perception de leur niveau de connaissance et de la note qu’ils pourraient obtenir à un examen (Agarwal et coll., 2008). S’il est vrai que les étudiants qui ont confiance dans leurs capacités de réussite s’en sortent mieux que ceux qui doutent d’eux-mêmes, il reste que ceux qui surestiment leurs capacités de réussite aux évaluations scolaires s’en sortent moins bien que ceux qui ont une appréciation plus juste de leur capacité de réussite dans ces mêmes évaluations.

Les meilleurs élèves sont généralement ceux qui à la fois sont confiants dans leurs capacités de réussite et qui estiment avec pertinence leurs chances de réussite.

Prendre les commandes de son apprentissage

Ces différents éléments permettent d’entrevoir vers quoi devrait évoluer l’apprentissage du 21ém siècle. Nous pouvons déjà constater que les moyens massifs de diffusion des connaissances qu’offrent les technologies au travers de l’e-learning, des MOOC ou encore des classes virtuelles permettent plus facilement de mettre à disposition les connaissances.

Ces systèmes invitent les apprenants à se mettre aux commandes de leurs apprentissages, ce qui permet plus facilement de « nourrir notre éléphant » comme nous avons pu le voir. Les apprenants ne sont plus contraints d’assister à un cours, mais peuvent le visionner à leur guise et télécharger le support qui l’accompagne. Des articles en ligne, des liens vers des sites Internet complémentaires, des échanges sur les forums peuvent éclairer certains points restés obscurs en première lecture.

Cependant, la recherche nous indique qu’à trop faciliter les choses, ces nouvelles technologies peuvent avoir un effet contre-productif. Si l’apprenant se contente de télécharger son cours sans mettre en place de stratégie, la qualité de son apprentissage ne sera pas brillante.

En conclusion, il est donc possible de dire que l’apprentissage du XXIe siècle est celui qui permettra à l’apprenant de prendre conscience de ses motivations et qui ainsi favorisera son investissement dans ses cours de même que dans toutes les connaissances qui lui sembleront utiles. C’est aussi un apprentissage qui ne laissera pas l’apprenant livré à lui-même, mais qui lui fournira les outils lui permettant de décoder les meilleures manières d’apprendre.

The Conversation

Fabien Fenouillet, Professeur, Université Paris Nanterre – Université Paris Lumières

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.

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